Écrit par : Samael Aun Weor Catégorie : Le Chemin Étroit
Le Maître Chinois Kao Feng entra dans la prêtrise à l’âge de quinze ans et fut ordonné à l’âge de vingt ans dans le monastère de Chin Tzu.
Kao Feng comprit que tous les êtres humains sont de misérables automates endormis et il se proposa depuis lors d’éveiller sa conscience par la science de la méditation.
Kao Feng réalisa ses premiers travaux sous l’intelligente et sage direction du Maître Tua Chiao, qui lui enseigna à travailler avec le Hua Tou (« phrase mystérieuse ») suivant : « Où étais-je avant ma naissance, où serai-je après ma mort ? »
Kao Feng se proposa de travailler avec ce Hua Tou, mais il ne put pas concentrer son mental, à cause de la bifurcation de cette phrase : son mental se divisait en de nombreuses opinions et concepts opposés et Kao Feng souffrait jusqu’à l’indicible parce qu’il désirait de tout son cœur et de toute son âme se libérer du dualisme mental.
L’expérience du réel s’avère impossible tant que l’Essence, la Bouddhata, l’âme, est emprisonnée dans le dualisme intellectuel.
Les opinions qui s’opposent, la bataille des concepts opposés, les idées antithétiques, correspondent aux divers fonctionnalismes illusoires du mental.
Kao Feng pleurait des larmes de sang dans son désir profond de s’affranchir du dualisme mental, mais il échoua avec le Hua Tou du Maître Tua Chiao.
La tradition raconte que dans un état d’angoisse et de désespoir terrible, Kao Feng alla trouver le Maître Hsueh Yen qui, compatissant avec sa douleur, lui enseigna le puissant mantra WU et exigea de lui de l’informer quotidiennement sur ses travaux.
Le mantra WU se chante comme un double « ou » (ou ou), en imitant le hurlement de l’ouragan dans les vagues déchaînées de l’océan furieux. Durant cette pratique, le mental doit être absolument tranquille et dans un silence profond et épouvantable, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ; ni le moindre désir ni la pensée la plus insignifiante ne doit agiter le lac profond du mental.
Les explications du Maître Hsueh Yen étaient en réalité si simples et si claires que son disciple Kao Feng tomba dans la négligence et dans la paresse, à cause du fait qu’il n’avait franchement besoin de faire aucun effort pour les comprendre.
Le Maître Hsueh Yen, en dépit de sa douceur habituelle, savait également être très sévère lorsque c’était nécessaire.
Un jour, comme d’habitude, Kao Feng entra dans la chambre de son Maître, mais celui-ci lui dit alors d’un ton très sévère : « Qui a apporté ce cadavre en ton nom ? » Il n’avait pas terminé de dire cela qu’il le jetait dehors de sa chambre.
Plus tard, Kao Feng suivit l’exemple de Chin Shan et chercha refuge dans la salle de méditation.
Les pratiques de méditation intime provoquent de façon graduelle l’éveil de la conscience, l’éveil de la Bouddhata.
Le néophyte commence à réagir aux représentations internes suprasensibles d’une façon très distincte, très différente de la normale ; il commence par dire : « Je suis en train de rêver, ceci est un rêve » ; plus tard, il s’exclame, rempli de joie : « Je suis en dehors du corps physique ; mon corps physique est endormi, mais moi, je suis en dehors du corps, totalement conscient et éveillé ! »
Un jour où Kao Feng était sorti de son corps endormi qui ronflait sur le lit, il se rappela en toute clarté le Koan qui dit : « Toutes les choses se réduisent à l’unité, mais à quoi se réduit l’unité ? »
Les traditions chinoises relatent qu’à ce moment, son mental se remplit de confusions terribles, jusqu’au point où il ne parvenait plus à distinguer l’est de l’ouest ni le nord du sud.
Après avoir passé six jours dans cet état mental malheureux, il arriva que pendant qu’il marmottait les prières collectives avec une dévotion infinie dans le Lumitial de méditation, il leva la tête et vit de façon clairvoyante ces deux dernières phrases mystérieuses du poème oriental composé par le cinquième Patriarche, Pa Yan : « Oh !, c’est toi, celui que j’ai toujours connu, toi qui vas et viens durant les trente mille jours d’un siècle. »
Kao Feng se mit immédiatement à travailler sur la phrase mystérieuse et énigmatique : « Qui a apporté ce cadavre en ton nom ? » Celle-ci était restée tellement gravée dans son mental depuis ce jour où le Maître Hsueh Yen l’avait prononcée, qu’il lui était impossible de l’oublier.
Il se sentit comme si son mental et sa personnalité avaient péri et comme si son esprit divin ressuscitait après la mort. Il se sentait heureux comme si on avait enlevé de ses épaules un fardeau énorme et pesant. Il avait alors vingt-quatre ans, et il avait obtenu le désir d’atteindre l’éveil de la conscience en l’espace de trois ans.
Lorsqu’on demanda à Kao Feng : « Peux-tu te dominer toi-même à la pleine lumière du jour ? », il répondit avec fermeté : « Oui, je le peux. »
« Peux-tu te dominer quand tu es en train dormir ? » Sa réponse fut de nouveau : « Oui, je le peux. »
« Et quand tu dors sans rêver, où se trouve le Maître ? » Kao Feng ne put trouver de réponse à cette dernière question, et de nouvelles souffrances intimes l’affligèrent au fond de son âme.
Le Maître lui dit : « À partir de maintenant, je ne veux pas que tu étudies le bouddhisme ni le Dharma, je veux que tu n’étudies rien, ni d’antique, ni de nouveau. Je veux seulement que tu manges quand tu as faim et que tu te couches quand tu es fatigué. Et pour ce qui est de t’éveiller, rends ton mental alerte et demande-toi : “Qui est le Maître de cet éveil ? Où son corps se repose-t-il ? Et dans quelle direction mène sa vie ?” »
Kao Feng était assurément un homme de Thelema (volonté), et il décida avec grande fermeté qu’il devait comprendre cela d’une manière ou d’une autre, même si, dans son acharnement, il donnait l’impression d’être un idiot pour le reste de ses jours.
Cinq années de travail intensif passèrent. Un jour quelconque, alors qu’il travaillait sur ce point en plein sommeil, un de ses compagnons moines qui dormait à côté de lui dans le dortoir commun du monastère saisit inconsciemment un coussin, qui tomba bruyamment sur le sol. À cet instant, ses doutes disparurent immédiatement. Il sentit avec une joie immense qu’il était parvenu à bondir hors d’un piège. Toutes les phrases mystérieuses des Maîtres et des Bouddhas, les multiples problèmes du passé, du présent et du futur, devinrent clairs pour lui. À partir de cet instant, Kao Feng fut illuminé.
Il existe deux types d’illumination : on appelle habituellement la première eau morte, car elle implique des entraves. On fait l’éloge de la seconde sous le nom de grande vie, parce qu’elle est l’illumination sans entraves, le vide Illuminateur.
Le premier type d’illumination est l’autoconscience éveillée. Le second type d’illumination, bien qu’on le nomme dans le Quatrième Chemin « connaissance objective » ou « conscience objective », transcende en réalité ce qu’on appelle la conscience : c’est l’Être, et la raison d’être de l’Être, c’est l’Être lui-même.
Kao Feng se transforma par le fait même en un Turiya, car il parvint à se rendre absolument indépendant du mental par le biais de la méditation de fond.
Le monde est du mental cristallisé, et c’est pourquoi il est maya (l’illusion). Quand le grand jour cosmique prend fin, cette forme illusoire du mental est réduite en poussière cosmique.
En réalité, ma personne, les personnes, ta personne, les choses et les créatures de toute espèce n’existent pas : ce ne sont que des formes mentales illusoires qui doivent être réduites en poussière cosmique.
L’unique réalité est Brahma, l’Espace-Esprit infini, qui renferme l’éternel féminin et la monade sacrée : le reste n’est qu’illusion.
Nous devons tous nous perdre en quelque chose. Des millions d’êtres humains se perdent dans les mondes infernaux, mais nous, les Gnostiques, nous préférons nous perdre en Brahma.
Il est urgent d’empêcher que le contenu mental (Chitta) acquière différentes formes (Vrittis) durant la méditation intérieure profonde. Lorsque les vagues mentales ont cessé et que le lac intellectuel s’est apaisé, l’illusion que nous crée la houle des opposés se trouve à cesser, et l’expérience du réel survient alors.
Lorsque l’Espace-Esprit infini nommé Brahma assume une forme quelconque pour parler à ses avatars, il devient alors Ishvara, le Maître de tous les Maîtres, un Purusha très spécial dépourvu de mental et exempt de souffrances, d’actions, de résultats et de désirs.
La seule chose à laquelle sert l’intellect luciférien, malheureusement, c’est à nous tourmenter par la bataille incessante des opposés. Kao Feng s’est libéré du mental et il s’est transformé en Turiya.
Ce chapitre est tiré de Le Chemin Étroit (1968) par Samael Aun Weor.